C’est en 1923 que la première Cité-jardins, la cité basse, est sortie de terre, et que le petit village s’est changé en ville. Il ne reste plus de témoin de cet événement, mais il est important d’écrire l’histoire de ce qui s’est passé au Plessis-Robinson depuis cent ans, à travers la mémoire de ceux qui y ont vécu et, pour certains, qui y vivent encore.

En 1915, les Arméniens vivant en Turquie sont victimes d’un terrible génocide, faisant au moins un million de victimes. Beaucoup de rescapés fuyant la Turquie arrivent en France via le port de Marseille, remontent vers la capitale et trouvent refuge dans un petit coin de banlieue, entre Issy-les-Moulineaux, Clamart et jusqu’au Plessis-Robinson.

Selon le recensement de 1914, il y aurait 1 225 422 Arméniens chrétiens dans l’empire ottoman. © Belediye Kotophanesi.

Après la Première Guerre mondiale

Au sortir de la Grande Guerre, les communes des boucles de la Seine, autour des usines Renault et Citroën, encore largement ouvrières, attirent les Arméniens qui cherchent du travail, quitte à se loger dans des baraquements sur l’île Saint-Germain. Petit à petit, la communauté s’organise, met de l’argent de côté, et monte vers les hauteurs d’Issy-les-Moulineaux et de Clamart. Jacqueline Minassian, élue aujourd’hui à Clamart, raconte « De nombreuses familles iront s’installer à Clamart, où certaines décident de monter leur propre affaire, l’activité du tricot, dans les années 1930 ». Beaucoup s’installent dans le quartier du Jardin Parisien, entre la Nationale 306 (aujourd’hui avenue du Général de Gaulle), et le boulevard du Moulin de la Tour au Plessis-Robinson. Dans le sous-sol des pavillons, les machines à coudre tournent à plein régime.

Mais tous les Arméniens ne sont pas tricoteurs et tous n’habitent pas le Jardin Parisien. D’après le recensement de 1936 au Plessis-Robinson, Vahé Serapeyan, installé rue du Hameau avec son épouse Adrinée, est cordonnier. Léon Kavasian est marchand forain. Plusieurs familles s’installent cité haute, avenue Payret-Dortail, dans le nouveau quartier HBM (Habitations à Bon Marché) qui vient de se construire. Les Kutchukian, les Adjemian, les Keurhadjan, les Yagmourian, les Dadian s’insèrent sans difficulté au sein de cette population modeste et laborieuse, venue de toute la France, mais aussi d’Italie, de Russie, d’Espagne, de Pologne, pour devenir des Hiboux, comme les Robinsonnais de souche.

Plusieurs familles arméniennes avenue Payret-Dortail en 1936. © Coll.Mairie du Plessis-Robinson

Un premier ministre d’Arménie 

Un Arménien célèbre vit aussi cité haute, au milieu des années trente. Il s’agit de Simon Vratsian, de son vrai nom Kratzian, né à Erevan en 1882, recensé comme homme de lettres. Mais cet habitant de la rue des Platanes (aujourd’hui Gabriel-Péri) n’est pas un citoyen comme les autres : il a été le dernier Premier ministre de la Première République d’Arménie entre novembre et décembre 1920. Né en Arménie sous domination russe, élu au Parlement de la Nouvelle République d’Arménie en 1918, ministre du travail, il sera Premier ministre pendant neuf jours avant que le pays soit envahi par les Bolcheviks. Entré en résistance, il partira en exil avant d’arriver en France et de s’y installer avec sa femme, Yelena Shigaeva, d’origine russe, et sa fille Seda, née en 1922 à Neuilly-sur-Seine. En 1941, il est toujours au Plessis-Robinson. Il quittera la France après la guerre pour s’établir au Liban où il finira ses jours. 

Simon Vratsian avec sa femme Yelena et leur fille Seda en 1929.

Un parcours incroyable 

Le Liban, un pays qui, avec la Syrie, a joué un rôle important dans le parcours de la diaspora arménienne, dont une partie est passée par cette région du Proche-Orient, avant d’embarquer pour l’Europe. C’est ce que rappelle Evelyne Altounian, arrivée au Plessis-Robinson en 1971, avec l’histoire de son père. En 1915, ses grands-parents, Assadour et Vartouhie Resdikian, et leur fils de 4 ans, Nechan, quittent Eskisehir (Turquie) en convoi vers la Syrie sur la promesse d’y trouver une terre d’accueil. « Et là c’est l’horreur, raconte Evelyne, Assadour est abattu par les soldats turcs et Vartouhie éventrée sous les yeux terrifiés de leur fils. Sur les conseils d’une cousine, l’enfant s’enfuit dans le désert où il est recueilli par une caravane de bédouins. » Il vivra quatorze ans avec eux, ne parlant que l’arabe et habillé comme eux. Il est retrouvé par des missionnaires arméniens et recueilli par des cousins de Syrie (alors sous protectorat français) qui le réintègrent et lui apprennent à parler à nouveau l’arménien. Attiré par la France, il s’engage pour combattre dans l’armée française et obtient des papiers pour venir travailler à Sochaux dans les usines Peugeot. Nechan va s’y établir, fonder une famille qui vivra par la suite vingt ans au Plessis-Robinson.

Nechan Resdikian, adopté par les Bédouins. © Coll.Evelyne Altounian

Après la Seconde Guerre mondiale

Après la seconde guerre mondiale, les Arméniens, sans renier leurs traditions, se fondent dans la population française. À Vienne (Isère) où il a épousé Vartouhie, Neuchan Resdikian achète un garage, tout Vienne vient y faire repeindre sa voiture. Leur fille, Evelyne, épouse un Arménien de Paris, Serge Altounian. Ils cherchent à se loger en région parisienne et trouvent en 1971 un appartement au Plessis-Robinson, rue des Sources. « Après la naissance de ma fille, Stéphanie, et enceinte du second, nous avons obtenu un ILN square Michel-Ange, raconte Evelyne Altounian. Il était tout neuf, impeccable, à côté du Multi, de la bibliothèque, du cinéma. Les enfants allaient en classe à Maurice-Thorez (aujourd’hui Louis-Hachette NDLR). On se connaissait tous, le quartier était un petit village ». 

Evelyne Altounian.

Le travail de la maille

Fidèles à leur réputation, les Arméniens travaillent et travaillent encore, notamment dans la maille. Les fameux tricoteurs de Clamart, dont l’activité a commencé dans les années 1930, ont produit jusqu’

à la moitié des pull-overs français. « À L’apogée du textile à Clamart, dans les années 1975-85, il y avait près de 150 fabricants, on sortait jusqu’à 100 000 pulls par jour ! », se souvient Pierre Kodjabeykian. Avec souvent de toutes petites unités, comme le précise Vasken Barghoudian, un des derniers tricoteurs, qui vit aujourd’hui quartier du Hameau. « Les Arméniens sont attachés à leur indépendance. Dès qu’ils apprennent le métier, ils se mettent à leur compte, quitte à utiliser la cave ou le garage ». De fait, beaucoup de tricoteurs sont installés au Jardin Parisien, certains au Plessis-Robinson. Les Barghoudian, arrivés de l’est parisien, travaillent à Clamart, avenue du général de Gaulle. Leur société, la SARL Vaheva, commercialise la marque Marlène B. « Les ennuis ont commencé avec l’euro, raconte Vasken. D’abord la concurrence des Anglais, puis des pays de l’Est. Et quand les Chinois ont racheté les magasins de gros du Sentier que nous fournissions, ça a été la fin, ou presque ».

Les tricoteurs de Clamart. © tricots Jean-Marc

La découverte d'une nouvelle culture

Dans les années 1995, un couple d’Arméniens d’Issy-les-Moulineaux, Joannès et Noémie Manoukian, propose à la Mairie du Plessis-Robinson d’organiser des soirées culturelles autour du cinéma arménien. Projections, débats, expositions, buffets arméniens, les Robinsonnais redécouvrent une culture ancestrale et les amis de l’Arménie aiment à partager ces moments au Plessis-Robinson. D’autant plus que le sujet du génocide arménien est au coeur de l’actualité politique. Après sa reconnaissance publique par la France en 2001, Philippe Pemezec, élu député en 2002, est au coeur du combat pour le rétablissement de la vérité sur les massacres de 1915. S’ensuit le renforcement des liens entre Le Plessis-Robinson et l’Arménie, à travers un protocole d’amitié signé en 2005 entre notre ville et Arapkir, un secteur d’Erevan, la capitale arménienne. Sous l’impulsion de Corinne Duguer, du comité de jumelages et de la communauté d’origine arménienne, ces liens vont s’intensifier à travers un véritable partenariat culturel, éducatif, économique et aussi humanitaire quand un tremblement de terre ou une guerre vient à dévaster le pays.

Tous les ans, en septembre, les amis de l’Arménie se retrouvent dans le parc du Moulin Fidel.

Des artistes robinsonnais d'origine arménienne

Les artistes d’origine arménienne jouent un rôle important dans la vie culturelle du Plessis-Robinson. À commencer par le couple Mouradian : Armen, dit A.Mour, formé à Moscou et Erevan, est un peintre reconnu dans notre ville ; son épouse, Hasmik, élevée à Erevan, enseigne le dessin et la peinture à la Maison des Arts depuis 2016. Christine Mozian dite Chrismoz, élevée elle, en France, a aussi son atelier de peintre au Plessis-Robinson. Un autre artiste robinsonnais, Joseph Boghossian, que beaucoup connaissaient sous le surnom de Jojo, avait une voix de ténor exceptionnelle qui restera gravé dans le coeur des auditeurs de la Chorale Sipan-Komitas, le choeur arménien de Paris. 

Armen Mouradian dans son atelier.

Le sculpteur Albert Avetisyan n’habite pas au Plessis-Robinson, mais il a conçu en 2009 avec Désiré Bardot la statue de « L’Homme libre » sur le bassin du square de la Liberté. L’auteur-compositeur-interprète Essaï Altounian, n’habite pas non plus Le Plessis-Robinson, mais il y a vécu ses dix premières années, et est revenu y chanter dans le cadre

 du Noël arménien organisé en janvier. Il dit : « Nous étions tous français, mais nos coeurs étaient connectés à nos racines. J’étais l’Arménien du groupe et j’en étais fier. La France est un pays multiculturel. J’ai grandi avec ces gars dans un quartier, mais je n’ai jamais oublié que mon coeur était définitivement arménien. » 

Essaï Altounian a représenté l’Arménie à l’Eurovision.

À sa mère, Evelyne Altounian, le mot de la fin : « Mes parents nous ont appris : Taisez-vous, ne faites pas de bruit. On a eu la chance d’être accueillis par la France, alors restons humbles »

Deux églises à Issy-les-Moulineaux

Dès 1926, les familles arméniennes de confession évangélique se réunissaient dans l’Île Saint-Germain. En 1944, l’Église achète un terrain à Issy-les-Moulineaux avec un bâtiment qui servira de lieu de culte. C’est en 1978 que l’édifice actuel sera construit 5, avenue Victor-Cresson. Pendant ce temps en 1975, la communauté arménienne inaugure au 6, avenue Bourgain, toujours à Issy-les-Moulineaux, une église Sainte-Marie Mère de Dieu, de confession apostolique, qui compte environ dix millions de pratiquants dans le monde.

« Je ne les remercierai jamais assez »

C’est après la chute de l’URSS que Robert Emmiyan arrive au Plessis-Robinson. Citoyen soviétique, mais né à Leninakan, actuellement Gyumri, en Arménie. Robert était une star du sport en URSS, recordman d’Europe du saut en longueur (8,86 m, quatrième performance de tous les temps). Mais cet immense athlète est d’une modestie et d’une simplicité rares. Il repart à zéro, sous les couleurs de l’Arménie, avant d’apporter son savoir-faire aux athlètes de l’Avia Club, du PRAC, puis de l’équipe de France d’athlétisme. Aujourd’hui président de la fédération arménienne d’athlétisme, il n’a pas assez de mots pour remercier la France « J’ai reçu un formidable accueil dans ce pays et en particulier au Plessis-Robinson. Je ne les remercierais jamais assez pour m’avoir offert une seconde chance et une belle vie. »