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1936 : Simon Vratsian, un premier ministre arménien au Plessis-Robinson

Histoires d'archives n°59

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« Simon Vratsian, né à Erevan en 1882, homme de lettres ». Voici un nom découvert au hasard des pages du registre de recensement de la population robinsonnaise de 1936. Sa particularité : avoir été le dernier premier ministre de la Première République d’Arménie entre le 23 novembre et le 2 décembre 1920. Simon Vratsian : un habitant du Plessis-Robinson bien oublié lié à un épisode clé de l’histoire ô combien troublée de l’Arménie contemporaine.

A l’époque, ce petit pays situé entre la mer Noire et la mer Caspienne, est pris en étau entre deux grandes puissances voisines aux visées expansionnistes : l’Empire russe et l’Empire ottoman (la future Turquie). En 1917, l’effondrement de l’empire russe de Nicolas II laisse un vide politique dans la région de la Transcaucasie (Géorgie, Azerbadjian et Arménie) qu’il dominait. La période de chaos politique qui commence alors est accentuée par une combinaison de facteurs à la complexité inouïe : génocide du peuple arménien par les autorités ottomanes en 1915 (environ 1,2 millions de morts), nationalisme des peuples transcaucasiens, révolution bolchévique en Russie, conséquences géostratégiques de la Première Guerre mondiale, révolution kémaliste et création de la Turquie moderne en 1923.

Simon Vratsian fait partie des hommes politiques militant pour la défense des intérêts de l’Arménie et de son peuple qui ont dû composer avec ce contexte géopolitique inédit. Dès l’âge de 16 ans, il s’engage dans le parti daschnak, appelé également Fédération arménienne révolutionnaire (FRA). En 1914, il devient membre du bureau de ce parti nationaliste de gauche combattu par le régime tsariste dominant alors l’Arménie. Parallèlement, la première guerre mondiale ayant éclatée, il intègre dans les forces volontaires arméniennes. Après la première révolution russe de février 1917, un certain flou politique s’installe dans la région de Transcaucasie composée de l’Arménie, la Géorgie et l’Azerbaïdjan et formant une république fédérale sous domination russe. Les Arméniens se dotent d’une assemblée nationale et d’un conseil national, organe de 15 membres dont Simon Vratsian fait partie. Ce dernier est plutôt favorable au nouveau régime russe qui garantit à l’Arménie une protection face aux prétentions territoriales turques. Mais la seconde révolution russe d’octobre 1917 change la donne. Les bolchéviques arrivés au pouvoir se retirent du conflit mondial qui fait rage et se désengagent par là même du front turc où la Russie défendait jusqu’alors ses conquêtes en Arménie occidentale. Face à la menace militaire turque et au vu de leur opposition politique au pouvoir bolchévique de Moscou, les républiques de Transcaucasie proclament les unes après les autres leur indépendance : la Georgie le 26 mai, l’Azerbaidjan le 27 mai et l’Arménie le 28 mai 1918. La première république d’Arménie est née, mais le traité de Batoum qu’elle signe le 8 juin avec la Turquie victorieuse militairement est révélateur de sa faiblesse. Si les Turcs reconnaissent l’indépendance de l’Arménie, cette dernière se voit amputée d’une grande partie du territoire qu’elle revendiquait. La République d’Arménie est réduite aux hautes terres arides entourant la capitale Erevan. Le pays fait donc l’apprentissage de l’indépendance dans un contexte effroyable : l’armée turque est à ses portes et a pris possession de ses terres les plus fertiles au moment même où l’Arménie doit faire face à un afflux massif de réfugiés ; l’éventualité d’une prise de pouvoir par les bolchéviques met en péril l’autonomie du pays ; les conflits frontaliers avec la Géorgie et l’Azerbaïdjan voisins sont saillants ; le traumatisme lié au génocide perpétré par les Turcs seulement trois ans auparavant est dans tous les esprits.

Simon Vratsian élu au Parlement s’installe à Erevan. Il prend part à tous les débats et forme un courant centriste au sein du parti daschnak. Il prône un programme socialiste, nationaliste et profondément démocratique. C’est à ce titre qu’il s’oppose à l’instauration d’un État-parti d’inspiration bolchévique. Le 1er mai 1920, une tentative de coup d’État bolchévique est réprimée par le gouvernement. Les lignes politiques se durcissent alors et un nouveau gouvernement est mis en place le 5 mai. Il n’est composé que de membre du bureau du patri daschnak dont Simon Vrastian à qui est confié le ministère de l’agriculture et du travail, portefeuille très important dans ce petit pays rural où la question de l’approvisionnement est fondamentale pour nourrir la population et tous les réfugiés. L’œuvre réformatrice de la République d’Arménie est importante : vote des femmes, instauration d’un impôt progressif sur le revenu, nationalisation des grands domaines agricoles, alphabétisation de la population (une université populaire est créée à Erevan dans laquelle des intellectuels, dont Simon Vratsian fait partie, donnent des cours du soir). 

Le 10 août 1920, le traité de Sèvres marque la fin de la Première Guerre mondiale entre l’Empire ottoman et les Alliés. Le texte et les arbitrages qui s’ensuivent prévoient la restitution à l’Arménie d’une grande partie des territoires occupés par les Turcs. Mais ces conditions sont refusées par le nouvel homme fort de la Turquie le général Mustafa Kemal qui reprend les hostilités vis-à-vis de l’Arménie. Dans ce contexte militaire très défavorable, le gouvernement daschnak donne sa démission. Le ministre de l’agriculture sortant, Simon Vratsian, 38 ans, devient premier ministre le 23 novembre 1920 à la tête d’un gouvernement de coalition. Mais ses marges de manœuvres sont très limitées. Pour contrer l’avancée militaire turque qui met en péril l’existence même de l’Arménie, Vratsian est contraint de faire appel à la protection de la Russie soviétique tout en sachant que cette alliance entrainera une rupture définitive avec les puissances occidentales. Dès lors, le 2 décembre 1920 Simon Vratsian remet la mort dans l’âme le pouvoir aux Bolchéviques. Le même jour, le traité d’Alexandropol met un terme à la guerre avec la Turquie. Ces deux événements marquent la fin du rêve d’indépendance de la République d’Arménie. Le 6 décembre, l’armée rouge entre dans Erevan. Les emblèmes nationaux sont remplacés par le drapeau rouge et l’Internationale, les outils de productions sont nationalisés, les responsables civils et militaires sont emprisonnés, mais Simon Vratsian est laissé en liberté. Le 18 février 1921, il prend la tête d’un Comité de Salut Public pour la Patrie, gouvernement révolutionnaire porté au pouvoir par le soulèvement de la population arménienne excédée par les violences bolchéviques. Chassé de Erevan par l’armée rouge le 2 avril, ce mouvement contestataire se replie au sud-est du pays dans la région du Zanguézour et crée une éphémère République Arménienne de la Montagne qui est finalement écrasée par les soviétiques en juillet 1921. Dès lors, les bolchéviques prennent définitivement les rennes de l’Arménie qui finira par être englobée dans l’URSS.

 
La rue des Platanes (l'actuelle rue Gabriel Péri) où vécut Simon Vratsian (Archives municipales)

Simon Vratsian prend alors le chemin de l’exil et s’installe en région parisienne. En 1936, il habite au Plessis-Robinson 13 rue des Platanes (l’actuelle avenue Gabriel péri) avec Hélène, son épouse d’origine russe et Séda sa fille née à Neuilly en 1922. Homme de lettres, il mettra toute sa vie son talent littéraire au service de son engagement politique en contribuant à divers journaux politiques dont la diffusion internationale permet d’animer la diaspora arménienne. A Paris, il dirige le journal Droshak du parti dashnak jusqu’en 1933 puis se consacre au journal d’histoire et de culture Vern jusqu’en 1939. Parallèlement, il publie en 1928 un livre de témoignage sur son action politique La République d’Arménie, ainsi que de nombreux articles historiques, politiques et littéraires. Durant la Seconde Guerre mondiale, il émigre aux États-Unis où il est l’un des fondateurs du comité international d’Arménie et s’engage dans la défense de la cause arménienne auprès des autorités (il demande à l’ONU en 1945 la rétrocession de territoires arméniens occupés par la Turquie). En 1952, il devient proviseur du lycée arménien Hamazkayin à Beyrouth où il meurt en 1969.


Recensement de la population robinsonnaise, 1936 (Archives municipales)

Sources

Anahide Ter Minassian, 1918-1920 La République d'Arménie, Éditions Complexe, Bruxelles, 2006.

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